Une de ces journées où le bonheur nous contient. Tout entier.
Se lever à l’aube. Même plus tôt que l’aube. Aux aurores. Bien avant le chant des coqs. Écouter la pluie tomber. Sous les toits. Petits plaisirs de ma longue liste. C’est une chose commune par ici. Le ciel qui déverse ses grosses larmes sur la face du monde. S’imaginer là haut sur la montagne. Trempée de la tête aux pieds. Et partir quand même. À l’aventure.
Ce sont les meilleures. Les histoires à raconter à nos petits-enfants. Quand on sera plus grand. Celles qui ne sont pas parfaites. Celles qui nous marquent. Avec des anecdotes. De l’imprévu. Et des sourires béats malgré les tracas.
Une longue route. Les yeux à moitiés collés. Voir défiler les lumières. Et s’arrêter là. Où tout peut commencer.
Entamer cette marche. Reprendre ses repères. Comme avant. Tel un bouquetin sur ses collines. Sur ce chemin rocailleux. Penser à lui et ses montagnes. Mener la danse. Indiquer le chemin. Être la première de cordée. S’énerver un peu. De peur de rater le lever. À cause d’une histoire de rien du tout. Et réaliser que c’était moi avant. Cette asthmatique au pas trop lent. À bout de souffle. Dernière du rang. C’était il y a pourtant si longtemps. Je devrais travailler davantage ma patience. Ne pas m’énerver pour des broutilles. On reste en groupe. On est solidaire. M’interroger sur mon égoïsme éphémère.
Je guide les troupes. Plus vite que les guides. Un pas devant l’autre. Me sentir vivante. Sous tout ce vent. Ballotée en arrière et en avant. Respirer à pleins poumons comme chaque jour jusque là. Mille et une pensées à la seconde. Réaliser que le dépassement de soi est inévitable. Besoin de me prouver mille choses. Comme ce semi-marathon qui était trop facile. Être capable de tout faire. Vouloir ou pouvoir être la meilleure. Se souvenir d’une discussion sur la question. Et sourire bêtement. Tout me renvoie toujours à ces écrits-là.
Arriver au cratère. Vouloir voir le sommet. Les nuages nous empêchent de contempler la beauté du monde. Et perdre mon regard vers l’horizon. S’exclamer quand le ciel se dégage. Quand les nuages laissent place à la clarté. Crier pour que même les esprits nous entendent. Mais aussi les fantômes du passé. Comme une revanche sur la vie.
Grimper encore un petit peu. Les pieds enfouis dans le sable noir. Les chaussures alourdies par la poussière des roches volcaniques. Ne pas se laisser emporter par les rafales. Se tenir droite. Fière. Défiant le vent de me bousculer un peu plus encore. Prendre la pose sous les nuages. La tête embuée. Mont Batur, quelle épopée.
Affamée. Dévorer ce sandwich aux bananes chaudes écrasées. Se réchauffer avec une tasse de thé au lait. Et la cerise sur la montagne. Cet œuf dur. J’essaie de l’écraser sur ma tête. Oui oui, ma tête. Mon front. Ma caboche toute dure. En vain. Sur la roche. En vain. Je l’explose avec l’aide de mon pouce au creux de ma main. Une purée délicieuse. Léchant mes doigts encrassés comme une enfant. Et frottant ma paume sur un k-way bien trop imbibé.
Filmer. Encore filmer. Des heures de rush après seulement deux petites semaines. Il faudra confier tout ça entre les mains d’un passionné.
S’imaginer sur le Mont Rinjani. Un trek de trois jours. À planifier dans la foulée. Et redescendre.
Rire face à la course de Mani, notre guide. Roulant ses pas sur le sable. Courant avec toute son éternelle jeunesse. Du haut de ses 17 ans. Ecouter son histoire. Sa vie. Descendre de notre rocher. Au plus haut poing levé. 11 mois qu’elle est guide. Presque tous les matins qu’elle gravite sur cette grosse pierre. Elle respire la joie de vivre. La simplicité. L’amour de son prochain. Elle me donne envie de lui faire un gros câlin.
À travers les plaines. Les cultures. Les poussins. Les jeunes qui chaque matin grimpent des monts et montagnes. À la cueillette de jolies fleurs. Et de merveilles. Pour leurs aimées.
Il est seulement 8h du matin. La journée peut enfin commencer.

#baliventure